À l’approche du 1er juillet, la Ville de Montréal devrait adopter une résolution afin que chacun de ses nouveaux citoyens reçoive gratuitement un exemplaire de ce livre (vous nous rétorquerez que nos élus ont présentement d’autres dossiers à gérer et nous vous répondrons : oui, d’accord, c’est vrai).
Carmino Starnino — précisons-le d’emblée — n’a rien d’un simple chantre de la métropole (ou des autres lieux qu’il visite entre les pages dans ce recueil, notamment l’Italie). Son art consiste plutôt à mettre en lumière la relation étroite qu’entretient le monde extérieur, même banal, et nos vies intérieures.
« On a des émotions à propos des choses les plus étranges », observait l’écrivain américain William Carlos Williams (cité par Starnino). Le poète québécois sait lui aussi pertinemment que la nostalgie est souvent cette amie au sourire triste qui vous attend au coin de la rue, et qui vous veut du bien. Vous marchez dans Montréal et, soudainement, vous vous rendez compte que « ça me va à merveille, ce non-endroit / illuminé au sodium entre / Jean-Talon et St-Roch ».
Cartographier la ville tient donc ici à la fois du travail de la mémoire, de la promenade sans fin à l’intérieur de soi et de l’exercice d’émerveillement. Le long poème qui donne son titre au recueil, une déambulation à travers Parc-Ex et la Petite-Italie, ce creuset d’odeurs, de cultures et d’espoirs, devient ainsi la fresque attendrie, limite hallucinée, d’une partie de la ville « où on ne parle / pas un langage mais des oui et des non qui s’additionnent / pour former une pelletée de ci, une livre de ça. Quel bonheur ».
Formellement, Carmine Starnino s’en remet pour l’essentiel à de costaudes traditions poétiques : celle du portrait d’un lieu, de la lettre à un ami (« Neuf lettres romaines ») ou de la réminiscence enfantine.
Ses longs vers élégants, joueurs et rusés, découpés avec un sens imparable du punch, oscillent entre la douleur sourde d’une prise de conscience tardive (« J’ai de la chance », une réflexion lucide sur la fourberie de l’héritage paternel) et la légèreté des petits irritants du quotidien urbain (« Au couple de l’appartement 949 », une missive adressée aux voisins du dessus qui, comme tous les voisins du dessus depuis le début de l’humanité, parlent trop fort, marchent trop fort et baisent trop fort).
La petite craque dans le mur de son bureau rappelle sans cesse à Carmine Starnino cette petite faille en lui, celle-là même qu’il fouille dans Par ici la sortie, pour mieux en remonter des trésors de souvenirs doux-amers et de doutes intimes. La permanence du décor est, chez lui, le miroir de l’impermanence d’à peu près tout le reste.
Domique Tardif
Par ici la sortie
★★★★
Carmine Starnino, traduit de l’anglais par Gabriel Kunst, Éditions Hashtag, Montréal, 2020, 88 pages